L'assurabilité des risques, vue autrement

Dans la deuxième édition, fortement augmentée, qui vient de paraître de son remarquable ouvrage The Performance Economy (Palgrave Macmillan), Walter Stahel, grand spécialiste du risk management, revient a plusieurs reprises sur la difficile question de l'assurabilité des risques. Pour en parler avec lucidité et pour en tirer de précieux enseignements économiques et réglementaires.

L'assurabilité des risques est un instrument de choix, malheureusement sous-exploité, aux mains des assureurs pour renforcer la compétitivité économique des nations. Assurer de nouvelles technologies accélère leur arrivée sur le marché et garantit a la fois une tarification correcte des risques émergents potentiels et une internalisation des coûts du risque par les acteurs économiques. Voilà, selon Walter Stahel, les trois raisons pour lesquelles l'assurabilité des risques pourrait devenir un puissant moteur de progrès.

Mais qu'entend-on exactement par l'assurabilité des risques ? La définition qu'en donne l'auteur est originale. Ii y voit la frontière naturelle entre l'économie de marché et les Etats-nations. Les risques qui peuvent être assures n'ont pas besoin de législation étatique. Si au contraire on a affaire a des risques inassurables, 1'Etat doit intervenir, soit en interdisant la solution préconisée, soit en obligeant par la loi les acteurs, qui supportent les coûts des risques et en assurent la responsabilité, a garantir l'internalisation d'un résultat négatif. S'ils ne respectent pas la frontière en question, les Etats-nations se comportent comme des assureurs libres qui n'exigeraient pas de prime et qui favoriseraient des solutions sub-optimales. Les acteurs du risque économique que sont les assureurs tarifent les risques individuellement par le truchement de primes qui prennent ces risques en compte. Ce faisant, us incitent fortement les acteurs économiques a réduire ou a supprimer le plus rapidement possible les plus gros risques et l'ës responsabilités les plus lourdes.

L'assurabilité des risques remplit une autre fonction essentielle : elle sert de filtre entre l'innovation technologique et le développement durable. Différentes catégories d'acteurs influencent l'innovation technologique. Ii y a d'abord les acteurs économiques qui maximisent le retour sur investissement en prenant des mesures pour prévenir les pertes ou réduire les risques. Ii y a ensuite les assureurs qui ont un impact sur l'innovation technologique soit en en faisant la promotion soit en favorisant des orientations a l'abri du risque élevé et des opportunités commerciales médiocres, grâce a des primes de risque adéquates. Ii y a enfin les Etats-nations qui peuvent soit encourager l'innovation en finançant des projets spécifiques, soit la décourager en subventionnant des technologies existantes (exemple : le diesel) ou en l'interdisant carrément par la loi (exemple : les OGM dans l'Union européenne).

Le principe commun à l'œuvre dans ces exemples -- et le lien avec un développement durable -- est celui de la minimisation des pertes. Car prévenir des pertes, c'est empêcher des difficultés sociales et du gaspillage de ressources. Promouvoir l'innovation technologique, c'est-à-dire favoriser le progrès économique sans sacrifier le capital social et naturel, correspond parfaitement a un enjeu majeur de notre temps. L'assurance a un rôle clé à jouer dans ce contexte.

A cet effet, législateurs et assureurs doivent oeuvrer la main dans la main et coordonner leur action. Des immeubles construits sur des terrains réputés inondables ne peuvent être assures. La loi devrait donc en interdire la construction. Ce qui ne veut pas dire que tous les risques assurables seront effectivement assures. A preuve les nombreux automobilistes qui préfêrent économiser de l'argent en ne s'assurant pas. Ou les grands groupes pharmaceutiques qui, pour des raisons analogues, préfèrent parfois des alternatives a l'assurance contre des risques assurables.

Walter Stahel n'est pas seulement un théoricien reconnu du risque. A l'Association de Genève, en sa qualité de chef du département Risk Management, ii côtoie les Chief Risk Officers (CROs) des plus grands assureurs et réassureurs du monde. Ii nourrit donc sa réflexion d'exemples concrets de risques assurables et non assurables qu'il intègre aussitôt dans sa démarche transdisciplinaire pour en extraire la « substantifique moelle ». Cet ouvrage sur l'économie de la performance bénéficie de ce double éclairage théorique et pratique et gagne beaucoup en substance ... durable.

Henri SCHWAMM

Université de Genève

07.12.2010